Quelques 60 ministres de l’Environnement ont pris part à Kinshasa, du 3 au 5 octobre 2022, aux travaux de la PRECOP-27 co-organisées par la RDC et l’Egypte. Durant 3 jours, ils ont discuté climat en prélude aux négociations formelles de la COP27 qui se tiendront en novembre prochain à Charm el-Sheikh.
La 27ème Conférence des parties à la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique mettra ainsi face à face les pays industrialisés pollueurs de la planète et les autres, moins pollueurs, qui n’en subissent pas moins les effets pervers des changements climatiques, pour des solutions communes en vue d’arrêter la descente aux enfers.
Par visio-conférence, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, a rappelé aux participants à ces assises tenues au Palais du Peuple de Kinshasa les dégâts dus aux changements climatiques au Pakistan, où un tiers du pays a été inondé par les débordements des eaux ainsi que les bouffées de chaleur, inédites depuis 500 ans en Europe et l’ouragan Ian qui a brutalement déferlé sur les Etats-Unis, comme pour rappeler aux uns et aux autres qu’aucun pays ni aucune économie n’est immunisé contre la crise climatique. «Tous les indicateurs sur le climat vont dans la mauvaise direction», a pour sa part averti Amina Mohammed, secrétaire générale adjointe des Nations-Unies, présente aux travaux de la capitale congolaise.
Avant la COP 27, il y eût pourtant la COP 26 à Glasgow (Ecosse) au sujet de laquelle beaucoup conviennent aujourd’hui qu’elle fut une immense déception. De même qu’un certain nombre d’autres assises convoquées à grand renfort de publicité sans suites concrètes.
Promesses non tenues
Présent également à Kinshasa, le britannique Alok Sharma, président de la COP26 s’est efforcé de plaider pour la mise en œuvre par plus de 140 pays de la planète de mesures tendant à inverser la perte des forêts et la dégradation des terres, tout en assurant un développement durable et en promouvant une transformation rurale inclusive, comme convenu à Glasgow.
Dans la capitale écossaise, l’alors 1er ministre britannique, Boris Johnson, les présidents Joe Biden, Félix Tshisekedi et Ali Bongo Ondimba avaient solenellement annoncé une promesse de don de 12 donateurs à hauteur de 1.5 milliards USD pour les forêts du bassin du Congo sur la seule période 2021-2025. Rien n’est venu à ce jour.
Au Palais du peuple de Kinshasa, Sameh Shoukry, ministre égyptien des Affaires étrangères, a rappelé aux pays industrialisés responsables de 80 % de la pollution réunis au sein du G20, un autre engagement remontant à la COP15 à Copenhague en 2009, portant sur un don de 100 milliards USD/an en faveur des pays en développement, dont on attend toujours le premier centime.
La ministre congolaise de l’Environnement Eve Bazaïba, a exhorté pour sa part les pays riches industrialisés à respecter les promesses financières antérieures et à approuver des propositions pour compenser les économies les moins développées en raison des dommages sur le climat. «A moins qu’un effort mondial ne soit consenti, personne n’en échappera. Nous respirons tous le même air», a-t-elle martelé. Une opinion qui abonde dans le même sens que celui du secrétaire général de l’ONU s’adressant aux participants à la PRECOP-27 et appelant à un «compromis de niveau quantique» entre les pays riches responsable d’une grande partie des émissions de carbone de l’humanité et les pays pauvres qui ressentent souvent les effets du changement climatique plus intensément.
Déception des pays du Sud
Les discussions préparatoires de la COP 27 furent donc axées sur l’adaptation aux impacts climatiques, au financement, aux pertes et dommages sur l’environnement ainsi que la mobilisation des ressources nécessaires devant permettre au bassin du Congo particulièrement de prendre une part active dans la transition énergétique pour un développement vert et la création d’emplois pour les jeunes.
Toutefois, l’essentiel des échanges aura tourné autour de la responsabilité des pays polluants dont les engagements «viennent beaucoup trop peu et trop tard», de l’aveu des plus hauts responsables des Nations-Unies. Invités à mettre en œuvre un mécanisme de versement d’indemnités et dommages-intérêts aux pays pauvres dans le cadre du changement climatique, les pays riches se sont défilés, leur préférant «un dialogue» sur la question.
Tout en reconnaissant l’urgence d’une action décisive sur le climat, les pays du Sud ont plaidé leur cause à Kinshasa. S’agissant particulièrement de la RDC, pays hôte de la PRECOP-27, le 1er ministre, Jean-Michel Sama Lukonde a défendu le droit d’émettre du gaz à effet de serre pour la survie de la population et justifié l’adoption d’une position commune sur les cas de force majeure nécessitant une telle option.
«J’ose espérer que les échanges s’étendront sur les cas de force majeure suite auxquelles certains pays européens sont retournés à l’usage des sources d’énergies polluantes qu’ils avaient préalablement bannies, afin d’éviter à leurs peuples les conséquences incalculables d’un déficit en énergie que leur a imposé la guerre en Ukraine», avait-il déclaré en substance.
Avant d’ajouter: «Mon pays pense qu’il est temps de se pencher sur des cas de cette nature où la nécessité d’émettre pour assurer la survie de nos populations est confrontée à l’urgence de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Il convient d’adopter pour cela une position commune nous permettant d’éviter de tomber dans l’arbitraire avec certains États libres de poursuivre voire d’augmenter leurs émissions, et d’autres empêchés d’exploiter leurs ressources naturelles par crainte de l’aggravation des émissions mondiales de gaz à effet de serre».
La cause des non pollueurs
Plus explicite, Eve Bazaïba a martelé : «nous avons besoin d’exploiter nos ressources naturelles et trouver du pain pour nos enfants, mais sur la ligne de ce devoir, il y a de plus en plus d’obstacles associés à la nécessité de réduire nos émissions. Plusieurs pays africains ont du mal à opérer un choix entre la survie de leurs populations et le contrôle des émissions de gaz à effet de serre, alors que le continent n’est responsable que de 4 % des émissions mondiales. Que faire dans ces circonstances ? Exploiter nos ressources et nourrir nos enfants ou les contempler et les laisser mourir de faim ?».
Outre la dénonciation de la tendance à la banalisation du non-respect des engagements internationaux observée chez les parties à la Convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique avant et pendant la COP26 à Glasgow, Mme Bazaïba a stigmatisé les pertes et les dommages liés aux impacts du changement climatique qu’il faut distinguer de celles de l’adaptation au changement climatique, et les aborder séparément.
«Les pertes et les dommages se réfèrent aux urgences et à des circonstances temporelles, alors que l’adaptation s’adresse plutôt à des circonstances plus structurelles à programmer sur le long terme», selon elle.
Eve Bazaïba a également dénoncé les conditions imposées aux Etats du Sud pour accéder aux fonds destinés à protéger «des ressources dont nous sommes tous bénéficiaires», parce qu’elles «opèrent sur le terrain comme des barrières à l’accès des pays les moins avancés auxdits fonds».
S’agissant de la perception qu’ont les pays donateurs du financement climat, la plénipotentiaire rd congolaise a déclaré que «tout investissement dans la protection et la préservation des forêts ne doit plus jamais être envisagé comme une aide au développement, mais plutôt comme un investissement dans le système climatique mondial qui, en réalité, est un bien commun à toute l’humanité. Tous nous respirons le même air, et tous nous baignons dans la même atmosphère».
Les offres d’exploitation congolaises
Les travaux de la PRECOP-27 à Kinshasa auront ainsi été largement influencés par la déception des pays du Sud consécutive à la mauvaise foi manifeste des pays industrialisés qui rechignent à délier les cordons de la bourse pour réparer les dégâts immenses qu’ils causent au climat. Mais aussi au sentiment d’injustice et de révolte des premiers cités, obligés de contribuer à la préservation de l’environnement et à la protection du climat au même titre que les pollueurs, sans contrepartie valable.
L’émissaire américain John Kerry chez le président Félix Tshisekedi
A Kinshasa, l’ombre des appels d’offres sur une trentaine de blocs pétroliers et gaziers récemment lancés par la RDC a pesé sur les préparatifs de Charm el-Sheikh 2022. Le président américain, Joe Biden avait en effet dépêché dans la capitale congolaise son envoyé spécial en charge des questions du climat, John Kerry tandisque le n°1 russe Vladimir Poutine y avait délégué Ruslan Edelgeriev, son conseiller spécial pour les questions de l’environnement, préalablement brieffé sur les préoccupations de Kinshasa par l’ambassadeur de la RDC en Russie, Ivan Vangu Ngimbi.
Des pressions diverses, prévisibles selon les observateurs, ont été exercées sur Kinshasa pour l’empêcher d’intégrer le club des producteurs de pétrole fossile. Ainsi, une caravane motorisée, manifestemment téléguidée par des chancelleries occidentales, a été organisée dans la capitale par de prétendus «mouvements écologiques et organisations de la société civile», lundi 3 octobre, pour exiger l’annulation pure et simple des «projets anti-écologiques qui vont impacter directement la vie des milliers des communautés locales». Parallèlement, l’ONG nord-américaine Greenpeace se déployait pour le retrait d’au moins neuf offres d’exploitation pétrolière et gazière sur la trentaine mise sur le marché par le gouvernement de la RDC.
Pressions sur Kinshasa
Cerise sur le gâteau, l’envoyé spécial du président américain Joe Biden pour le climat, John Kerry, rencontrant le président Félix Tshisekedi pour «discuter du leadership de la RDC dans la conservation du bassin du Congo et la promotion de solutions de développement durable pour soutenir la croissance économique et la résilience climatique», avait remis à son hôte un message de Washington demandant à la RDC de retirer 6 offres de vente «pour protéger la forêt» congolaise qui renferme quelque 30 milliards de tonne de carbone, soit l’équivalent de trois ans d’émissions globales, selon des études. «Il est possible de créer des emplois et du développement économique sans mettre en danger des zones sensibles du point de vue de l’environnement telles que les tourbières», ont argué les Américains. Problème : les offres visées comptent parmi les plus juteuses, selon Petrogaz, un organe de presse spécialisé en matière d’énergie paraissant à Kinshasa.
D’où, la fin de non-recevoir réservée à cette sollication par le chef de l’Etat congolais qui a défendu «le droit de la RDC à exploiter son pétrole tout en tenant compte de la fragilité des écosystèmes». Pour Félix Tshisekedi, la question pourra trouver une réponse définitive lors des discussions du groupe de travail RDC-USA sur la protection des forêts et des tourbières d’ici la tenue de la COP27, a expliqué à la presse Eve Bazaïba, présente à l’entretien entre les deux personnalités. «Il ne s’agit pas d’un colonisateur qui vient contrôler un colonisé. Il s’agit d’un travail qui doit tenir compte des normes internationales de protection de l’environnement. S’il y a des entreprises américaines qui veulent investir, elles peuvent le faire tant qu’elles tiennent compte des lois environnementales», a encore expliqué la vice-première ministre en charge de l’Environnement et du développement durable de la RDC.
Lundi 10 octobre 2022, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a confirmé la position de Kinshasa au sujet des offres d’exploitation pétrolière et gazière, conditionnant le retrait demandé par les Etats-Unis à une contrepartie équivalente. «Si le gouvernement américain veut que nous retirions ces six blocs en nous offrant une contrepartie équivalente, tant mieux. Ils doivent nous assurer de ce qu’il faut pour répondre aux besoins de nos populations. Toutes ces questions doivent être évoquées dans le cadre du comité de travail entre les gouvernements de la RDC et américain», a-t-il souligné.
Au cours d’une conférence de presse, lundi 3 octobre, John Kerry avait annoncé la proposition de Joe Biden de l’allocation d’un fonds de 12 milliards USD pour l’accès aux crédits carbone en faveur des pays qui polluent le moins.
L’oxygène des ventres affamés a un prix. Reste à savoir qui doit le fixer et comment.
Le MAXIMUM / H24